“Ce n’est pas le plus fort de l’espèce qui survit, ni le plus intelligent, mais celui qui s’adapte le mieux au changement.“
Charles Darwin
Révolution IA, obsolescence accélérée des savoirs, urgence climatique, crise de sens et des talents, menace sur les démocraties… Les prochaines années promettent d’être riches en défis pour les entreprises et leurs (futurs) décideurs. Alors, pour s’y préparer, nous avons enquêté sur les compétences transversales qu’il vous faudrait commencer à développer dès maintenant.
Collaborer en Écosystème
L’ère des équipes hybrides
Toute l’équipe en CDI, réunie dans un même bureau, cinq jours par semaine, paraît déjà obsolète. L’entreprise fonctionne de plus en plus en mode projet, formant des équipes hybrides appelées « contingent workforce ». Selon une étude du cabinet de recrutement Hays publiée en février 2024, 47 % des entreprises ont déjà recruté des collaborateurs externes (freelance, CDD, intérim). La dynamique du freelancing semble inarrêtable avec plus de 4,3 millions d’indépendants en 2022, soit près de +50 % en dix ans, selon l’Urssaf.
La fin des frontières internes/externes
« La notion de frontière entre interne et externe n’existe plus », analyse Perrine Dejoie, directrice de l’activité « Talent Consulting » du cabinet Morgan Philips en France. Chacun doit apprendre à composer dans un écosystème de plus en plus éclaté, avec des indépendants et des partenaires aux statuts variés.
La coopétition, une nécessité
Pour avancer dans des contextes complexes, on entre dans une logique de travail partenarial, avec un principe de « coopétition ». Des exemples incluent Danone, Nestlé Waters et PepsiCo, collaborant pour imaginer un plastique biosourcé pour leurs bouteilles. De même, les laboratoires GSK et Sanofi ont travaillé ensemble face au Covid.
Autre illustration : face à la crise des talents, près de 500 employeurs français ont rejoint cette année le mouvement du « recrutement circulaire », en se recommandant mutuellement les candidats qualifiés et intéressants qu’ils ne peuvent pas embaucher ou garder.
Le terreau de la coopétition serait fertile en France : deux tiers des entreprises françaises déclaraient déjà collaborer avec leurs concurrents en 2022, contre une petite moitié en moyenne dans le monde, selon une étude réalisée par Tata Consultancy Services auprès de 1.200 dirigeants. 80 % des entreprises leaders de leur secteur s’estiment ouvertes à la coopétition dans un but d’innovation.
Rester Intelligent Face à l’IA
Apprendre à connaître l’IA
Pour tirer le maximum de bénéfices de l’IA générative, il faut d’abord apprendre à la connaître. « Comprendre à quelle IA générative on s’adresse est essentiel pour mesurer la fiabilité de ses réponses et en déjouer les biais », souligne Jérémy Lamri, cofondateur du Lab RH et du studio d’innovation RH Tomorrow Theory.
Beaucoup de professionnels l’ont bien compris : sur OpenClassrooms, « 4.000 à 5.000 personnes par mois commencent notre cours sur ChatGPT, avec un intérêt très fort depuis six mois et un taux de complétion important », indique Mathieu Nebra, son cofondateur.
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Les compétences clés à acquérir
Il faudra probablement apprendre du « prompt engineer » et lui emprunter ses compétences clés : créativité, flexibilité, capacité d’analyse et surtout esprit critique. Sur les réseaux sociaux, les deepfakes, photos et vidéos truquées au profit de cyberattaques toujours plus sophistiquées, nous mettent déjà au défi.
Dans son Global Risks Report 2024, le Forum économique mondial place la désinformation au premier rang des grands risques que l’on aura à affronter sur les deux prochaines années. Pour y faire face, c’est une culture du « zero trust » (méfiance et vérification permanente) qu’il faudra se forger. De nouveaux programmes de « cybersecurity mindfulness » sont même imaginés aux États-Unis pour renouveler l’approche traditionnelle de la gestion des risques en matière cyber, qui a montré ses limites. La méditation nous aide à prendre de meilleures décisions, à rester intelligent face à des cybercriminels qui savent exploiter nos émotions.
Devenir Prospectiviste
Développer l’adaptabilité et l’anticipation
Face aux récentes crises, le mot « résilience » s’impose. Cependant, pour Serge da Motta Veiga, l’important est l’adaptabilité et l’anticipation. Il conseille de réfléchir régulièrement à son positionnement dans l’entreprise et dans sa carrière.
Pour muscler ces compétences, ce chercheur en management nous invite à nous poser régulièrement trois questions : comment définit-on le succès ? Avec quelles métriques le mesure-t-on ? Et quelles valeurs guident nos choix ? « Cela permet de réfléchir à son positionnement dans son entreprise, dans sa carrière. D’être proactif et non attentiste. »
Explorer les futurs possibles
Daniel Kaplan, cofondateur du réseau Université de la pluralité, avance que l’anticipation, c’est savoir que le futur est fondamentalement incertain. Des initiatives comme la « Red Team » de l’Agence de l’innovation de défense montrent l’importance de préparer des scénarios d’anticipation. Ce travail collectif, réalisé entre auteurs de science-fiction, experts militaires et scientifiques, a pour but d’imaginer les menaces pouvant directement mettre en danger la France et ses intérêts à l’horizon 2030-2060.
Vous vous dites que c’est un travail hors-sol ? Prenons le dérèglement climatique : un réchauffement à +4 °C d’ici à la fin du siècle ne relève plus de la fiction, l’heure est bien à l’adaptation. La médiatisation du troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) du gouvernement français, qui doit être finalisé avant l’été, devrait faire réfléchir chaque acteur à sa propre stratégie d’adaptation.
Définir sa « Raison d’Être »
Répondre aux défis écologiques
« La nécessité de compétences nouvelles pour répondre au défi écologique apparaît dans tous les secteurs », rappelle Cécile Jolly, en charge de la prospective des métiers et des qualifications à France Stratégie. Pour elle, « c’est plus une coloration verte d’un grand nombre de métiers qui est en jeu que l’apparition de nouveaux métiers ».
Le hic ? Plus de la moitié des dirigeants estime que le niveau de compétences des actifs n’est pas à la hauteur de ces enjeux, selon une récente étude de l’Unédic réalisée auprès de 400 dirigeants. Pourtant l’offre de formation n’a jamais été aussi pléthorique et accessible. « On le voit au niveau des écoles de commerce, la compétition qui s’est faite un temps sur la finance, puis l’entrepreneuriat s’est aujourd’hui déplacée sur l’écologie, avec de plus en plus de programmes solides, pertinents », remarque Ambroise Collon des Nouveaux Géants, qui aide les professionnels à faire « transitionner » leur métier.
S’engager dans des actions concrètes
Celles et ceux qui n’auront pas attendu de prendre le train de la transition écologique marquent des points auprès des recruteurs. Pour avancer, les entreprises savent qu’elles ont besoin d’ambassadeurs en interne et de collectifs d’employés engagés qui développent une connaissance, un réseau, proposent des projets, testent des solutions, des formations, repèrent les opportunités business…
Pour être de ceux-là, encore faut-il savoir développer son purpose (sa « raison d’être »), et le valoriser (plaidoyer). « Connaître sa propre étoile du berger, c’est comprendre ses moteurs et trouver un fil conducteur dans sa vie professionnelle. On peut facilement passer d’un métier à l’autre, mais on a besoin d’une cohérence. En sachant ce qui nous anime et comment avoir un impact », remarque Julie Ranty, de Pollen.
Daniel Kaplan, de l’Université de la pluralité, complète : « Il ne suffit pas d’être habité, il faudra de plus en plus savoir défendre ses convictions et cultiver cela dans les équipes. Savoir argumenter, tout en entendant et en comprenant les avis des autres. » Préalable essentiel pour faire advenir des consensus mobilisateurs. Sur le sujet de l’environnement, comme sur les enjeux technologiques, d’inclusion ou encore de santé au travail. À chacun sa bataille.
Cultiver ses « Mad Skills »
L’importance des compétences atypiques
Les « mad skills » sont ces compétences atypiques qui peuvent faire la différence sur un CV. Elles peuvent concerner une passion spécifique ou une personnalité unique. « Les mad skills peuvent être assimilées à ce petit supplément d’âme dans un CV, suffisant pour faire la différence », commentait Pauline Lahary, créatrice de MyCVFactory, dans un article des Echos en février.
La singularité comme atout
Les recruteurs sont de plus en plus sensibles à la construction de collectifs hétérogènes, avec en tête les nombreuses études montrant une corrélation positive entre diversité au sens large et meilleure performance économique. Une des dernières illustrations de cette tendance est probablement l’attention particulière portée aux profils « neurodivergents » (dys, autisme, TDAH…), soit 15 à 20 % de la population. BNP Paribas, Deloitte, EY ou encore SAP ont mis en place des mesures pour mieux capter ces profils dans leurs recrutements et mieux les intégrer, ce qu’ont récemment mis en exergue deux chercheurs de l’Ieseg. La motivation de ces entreprises ? Une productivité accrue, une grande créativité, une culture et une réputation améliorées et une réduction du taux de rotation du personnel. Autre exemple : LinkedIn, qui a créé la compétence « pensée dyslexique » à renseigner sur son profil, l’an dernier.
Innover avec des cerveaux imaginatifs
La singularité a son importance. Peut-être encore plus dans un monde façonné par des intelligences artificielles proposant partout des contenus formatés. Le prospectiviste Olivier Desbiey, d’AXA, en est convaincu : « Apporter sa propre personnalité dans sa manière de travailler, de s’exprimer, de collaborer, savoir sortir du cadre avec une forme de spontanéité, d’audace est en train de devenir précieux pour les entreprises qui sont bousculées de toutes parts et doivent repenser leur horizon. »
Pour innover, des cerveaux humains imaginatifs seront utiles, c’est certain. Mais « on ne peut être créatif sans un vrai socle de connaissances », prévient Thierry Rayna, chercheur en management de l’innovation à l’École polytechnique, qui alerte face à la tentation de ne plus apprendre en s’appuyant sur les IA génératives. Il prend l’exemple de l’aspirateur Dyson : « Pour inventer un tel modèle, il faut comprendre le fonctionnement d’un aspirateur et d’une centrifugeuse. Les IA, ce sont des statistiques, des algorithmes. Elles ne sont pas capables d’imaginer ce type d’invention. »
Conclusion : liste des compétences à développer
Pour résumer, voici les compétences que chaque décideur devrait cultiver pour naviguer dans les défis futurs :
- Collaboration en écosystème : Travailler efficacement dans des équipes hybrides et savoir collaborer avec des partenaires externes, y compris des concurrents.
- Intelligence face à l’IA : Comprendre les technologies de l’IA, savoir les utiliser et développer un esprit critique pour évaluer leurs résultats.
- Adaptabilité et anticipation : Être capable de s’adapter rapidement aux changements et d’anticiper les évolutions futures pour rester compétitif.
- Définir sa raison d’être : Trouver et valoriser son « purpose », et s’engager dans des actions concrètes pour répondre aux défis écologiques et sociaux.
- Cultiver ses mad skills : Valoriser ses compétences atypiques et apporter une touche de singularité et de créativité dans son travail.
Ces compétences sont cruciales pour naviguer les défis futurs et rester compétitif sur un marché en constante évolution. En cultivant ces aptitudes, les futurs décideurs seront mieux préparés pour affronter les turbulences de demain et saisir les opportunités qui se présenteront.
En conclusion, il est clair que l’avenir apportera son lot de défis pour les entreprises et leurs décideurs. La clé pour les surmonter réside dans la capacité à apprendre en continu, à collaborer de manière flexible et à développer des compétences variées et adaptatives.
Source de l’article : les Echos Start